Maison à Cracks

C’est vendredi. Alors qu’on passe par le bois de Boulogne, elle glousse puis me montre un texto qu’elle envoie à sa mère. Sur son portable je lis C’est joli, les arbres et les putes, sans réagir. C’est la première fois que je rencontre sa famille.

-     Ici, je connais les immeubles de l’intérieur.

Je sais qu’en disant ça, elle ne parle pas que des types qu’elle s’est tapé au lycée. Mais c’est ce que j’imagine. Je lui dis. Naomi, je l’aime mais elle est indélicate à fond. Le couple, personne ne lui a appris.

-      My parents are gonna be so happy.

Cette phrase, elle me l’a sorti quand on s’est rencontrés, en boucle. Parce que j’ai fait de grandes études. Elle pense tout ce qu’elle dit, elle n’a aucun second degré. C’est son humour juif. Naomi est à moitié américaine. Quand elle passe à l’anglais c’est qu’elle est gênée.

 

Arrivés sur l’Iles de la Jatte, en bas de l’immeuble, elle sonne. Je sais qu’elle a les clefs, ils ont chacun un jeu. Elle gueule :

-      C’est moi !

Ça s’ouvre. Les couloirs sont labyrinthiques. On nous envoie l’ascenseur du cinquième. C’est un de ces immeubles où tu peux pas monter sans bip. En haut, quand les portes coulissent. Je reconnais sa mère. Elle lui ressemble. Elle est surprise. Bordel, Naomi ne les a pas prévenus. Je la bute du regard. Elle lance un C’est Louis avant de s’engouffrer dans l’appartement. Je tends la bouteille de whisky comme un con.

-      Elle m’a dit que vous aimiez.

Sa mère me dévisage, puis me sourit. Elle sait qui je suis. Je lui fais la bise. En temps normal, je me serais barré.

 

Chez eux, c’est un foutoir pas possible. Naomi m’avait prévenu. Son père surgit d’une des chambres. Je lui serre la main. Il me fait une blague. J’entends son accent. C’est lui l’américain dans la famille. Je me marre pour être courtois. Naomi est déjà dans le salon, penchée sur un chat roux.

-  C’est Gatsby, il est handicapé !

Leur chat a eu le typhus, son arrière-train déconne, c’est celui de sa sœur, Moïra. Elle a trois ans de plus que Naomi. Je l’entends qui balance de la cuisine :

-      Tu aurais pu nous prévenir.

Elle ouvre la porte du frigo. Il déborde, rempli à ras. Un fromage blanc tombe et s’éclate sur le carrelage. Sa famille se dispute pour nettoyer. Ils habitent tous ici, ensemble.

J’arrive dans une grande pièce à vivre. La cuisine américaine donne sur la table à manger dressée au centre. Près des baies vitrées donnant sur la Seine, se trouve un coin salon où Naomi me fait signe de la rejoindre.

 

Face au canapé, une collection de robots nous surplombe. Des livres d’art, une gigantesque télé. Sur les murs, pas un seul espace vide. Ma chemise est trempée. J’ai envie de fumer ma clope électronique.

-      Qu’est ce que vous faites de beau dans la vie ?

-     Maman, tu peux le tutoyer.

Elle connaît la réponse. Elle s'asseoir sur le fauteuil près de nous. C’est sa place habituelle. Son père nous propose du vin, je refuse poliment espérant qu’ils ouvrent cette putain de bouteille de whisky. Je regarde Naomi, qui se lève pour aller la chercher.

-      Je suis avocat, du travail.

-      Ah bah maintenant, il nous faut un médecin ! Pour quand maman va mourir.

La voix de Moïra est glaçante. Je ris. Sa mère fait comme si elle n’avait pas entendu, elle nous vole une photo, ça fait péter un câble à Naomi. Elle ne supporte pas les images prises par surprise.

-   Qu’est ce que t’as minci !

Naomi me regarde, exaspérée, et se met à bouffer des olives. J’ai toujours eu le respect des étiquettes. J’appelle ça de la politesse. C’est ce qui fait que je ne dis rien. Je lui prends la main. Ça la met mal à l’aise. Ici, personne ne se touche.

 

On passe à table. Sa sœur a déjà ajouté un couvert. Son père se barre dans la pièce du fond, au bout du couloir. C’est l’ancienne chambre de Naomi. Y a encore son nom dessus. Elle s’approche de moi :

-      Il veut faire genre on est religieux.

C’est Shabbat. Il cherche des bouquins de prière. Ça prend un temps fou.

-      Mon père était goy, vous savez.

J’ai toujours plu aux mères.

-      Oui, madame, Naomi m’a dit.

-      Bon, tu viens Arieh ? On va pas y passer la soirée.

Son père hurle.

-      One minute !

Moïra gueule.  

-      Laisse le !

Naomi murmure :

-     Te fais pas de bile, ils veulent t’impressionner.

Elle attrape ma paume sous la table, la caresse, je sers mes doigts contre les siens. Naomi se débrouille pour faire rire sa mère. J’aperçois leur complicité. La sœur siffle une gorgée de vin après l’autre face aux fourneaux. Plus jeune, elle a subi une opération. Elle a constamment mal. La scoliose. Maintenant elle a une barre en fer dans le dos. Alors que je me sers d'un autre verre de whisky, sa mère me regarde avec envie. Je lui en propose.

-      Je vais être pompette.

Naomi plaisante.

-      Ça te fera pas de mal.

Moira ouvre le four, ouvre la fenêtre. Éteint la clim. Sa mère crie.

-      On crève de chaud, ici !

-      T’as qu’à arrêter de boire !

Je prie pour qu’elle remette la clim. Sa mère le voit.

-      Louis n’en peut plus, il transpire !

Naomi me fait signe de la resservir. Je la sers, je me sers. Ma main tremble. Arieh sort en trombe de la chambre du fond. J’avale mon verre cul sec, et me ressers.

-      Je pense qu’ils sont à la cave.

-      Roh, mais laisse tomber, qu’est ce qu’on s’en fout.

Sa mère boit une gorgée. Leur cave est tellement remplie qu’il a acheté un casque de chantier sur Amazon, exprès pour quand il doit y aller. Naomi me regarde. Je regarde l’horloge sur le mur de la cuisine.

-      Moïra, vas chercher Les juifs pour les nuls, nan ?

Naomi coupe un morceau de pain avec ses mains, et l’avale. Elle et sa mère rient.

-      Bon, papa, tu viens ?

Son père est penché dans un tiroir, il lance à Naomi.

-       Tu manges du sucre, toi ? C’est du poison.

Ici, ils sont tous au régime. Ce sont tous des ex gros.

-      Oui, je mange du sucre. Je mange que ça.

Son père me tend une kippa.

-      Naomi, j’attends qu’elle grandisse.

Je ne réponds pas. J’avale mon whisky.

-      Calma do Brazil !

Sa mère me fait un clin d’œil. Moïra me sert du Gefilte fish.

-      Il faut que tu goûtes !

Son père me tutoie, je me dis que c’est à cause de l’anglais.

-     Nan, papa, il déteste le poisson.

-      Je vous prie de m’excuser. Ce n'est vraiment pas mon truc.

-     Quoi, manger cacher ?

-     Papa, Basta !

-      Les voisins vont entendre, taisez vous !

Ici, ils ont peur que les voisins les écoutent.

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