Maison Minuit
Il était une fois une enfant solitaire qui avait découvert qu’elle possédait le don de lire dans les pensées des adultes.
Dans sa chambre,
elle mettait en scène ce qu’elle entendait.
Un seul Ken pour plusieurs Barbies.
Son père ne dormait plus.
La nuit, il se promenait près de la Seine - si elle fermait les yeux elle pouvait le suivre - le matin, il se plaignait d’avoir mal au dos
d’être fatigué.
Sa mère dormait dans le même lit
gris, hanté.
C’était devenu la jungle d’un immeuble désaffecté
proche de la pourriture.
Ses parents n’étaient pas morts mais c’était pareil.
Elle ne faisait que des cauchemars.
Son père l’attachait à une planche dans la cave, il la laissait.
La porte
était
toujours
ouverte.
Dans la cuisine, elle jouait.
Barbie était nue,
si quelqu’un entrait elle faisait semblant de se changer.
Les objets qu’elle trouvait servaient de meubles, les dialogues se faisaient à voix basse.
Le corps de l’un devenait le corps de l’autre.
Ce qu’on lui avait raconté devenait
son histoire.
Sur la terrasse elle jouait avec
les plantes
à la terre
foireuse,
elle se tachait.
C’était le seul moment où il faisait jour.
Elle restait des heures dans le bain.
On toquait.
Elle retenait sa respiration.
Ici, tout le monde parle.
Sa sœur avait une chambre, elle s’y terrait - elle n’allait jamais la voir - si elle y allait, ensemble elles faisaient des galipettes ou le poirier.
Elle détestait sa mère,
voulait sa mort.
Devant le miroir, elle posait - il était cassé,
une grosse fissure -
elle s’y prenait en photo.
Son père avait construit les meubles,
le cadre,
la cachette à nourriture.
Derrière son ordinateur elle regardait des films
en boucle.
Le temps n’existait pas - les gens s’embrassaient à l’écran.
Le volet du salon
cogné
contre le mur -
personne n’entend.
Sa chambre était devenue la leur.
Son lit avait disparu.
Barbie aussi.
Elle était restée dans la cave.
Télé cassée sur les pieds,
chats morts.
Elle n’a jamais été chercher ses clefs,
elles étaient dans le tiroir -
l’odeur qui s’en émane pue.
Maison volée, terne, tenue.
Elle demanda de l’aide,
personne ne décrocha le téléphone.
Or ce fut ce jour-là que sa confiance dans le monde des adultes
se brisa.