Chapter One : Faire des trous dans les murs

Les tableaux que j’achète restent au sol, je les empile. J’envisage à quoi devrait ressembler ma chambre. Ça fait trois ans que j’habite ici, je suis partie pour revenir. Mon voisin est juif, il vit contre le mur, celui à côté de mon lit. Avant je voulais qu’il m’entende - il pourrait avoir l’âge de mon père - je faisais plus de bruit. Quand je suis dans ma salle de bain, et lui dans sa cuisine je l’entends (ce qu’il dit, les mots précis). Il jure que de son côté ce n’est pas le cas - il est très pudique - il précise, je ne t’écoute pas quand tu chies. J’aime y croire. Je ne pourrais pas rester ici si je n’y croyais pas. Par contre, je me mouche trop fort. Je pense à lui chaque fois que j’éternue. Pour le reste, quand je jouis, ça c’est fini. Je ne le visualise plus. On s’est disputé (à propos du local poubelle) pour un carton pas plié - il fait partie du syndic. Ça a pris des proportions.. Il a été violent. Par messages, pas dans les faits. Dans les faits il n’y a rien, à part que je ne le croise plus. On aurait dû aller boire un verre, aplatir le truc.. Moi je dis, on vit dans nos portables, on les baise. Le nombre de gens qui ont tenu compagnie à ma main. C’est un peu comme se branler. J’appelle ça « i’m fucking my phone » c’est le nouveau porno. Le porno existe encore mais il n’est pas assez interactif. C’est l’image, dans le sens qu’une image donne la sensation d’une expérience réelle. I’m fucking my phone. Ça compte pour les images qu’on se fait dans sa tête. Mon voisin, il m’imagine - ce que je fais derrière notre mur. Avant, je vivais sur ça. Au lit avec n’importe quel homme, je couchais avec lui. Et puis, il m’a déjà vu nue. Il y a un contexte : la boite de striptease. Celle du quartier, on y a été ensemble. J’ai adoré.. J’avais été nue le jour même en école d’art (cette information a beaucoup plu aux filles, dans la cabine devant le voisin c’est elles qui m’ont déshabillée). Je suis modèle, exhibe, Muse ! C’est l’un de mes métiers. Chez moi il y a beaucoup de tableaux de moi. Des cadres que je n’accroche pas. Des œuvres d’artistes avec qui j’ai bossé, des photos de ma famille ou une vue de Paris.. Mon père m’a interdit de faire des trous dans les murs, parce que je ne suis pas propriétaire. Parce que je ne paye pas ma vie. Ta vie n’existe pas tant qu’elle ne t’appartient pas. Je suis entretenue. J’appartiens à mes parents, ils payent, ils décident.

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